Florine Carron est étudiante en Travail social à Sierre. Elle est venue à Santa Fe pour réaliser une période de formation pratique et nous livre ici quelques observations.
- Dans ton travail en prison ou dans les quartiers, quelle a été l’expérience la plus marquante ?
J’ai vécu tellement d’expériences, toutes différentes et uniques les unes des autres, qu’il est difficile de dire laquelle a été la plus marquante. Toutefois, quand je repense à mon travail dans les prisons, les moments les plus forts émotionnellement pour moi ont été ceux où les prisonniers/ères se mettaient à chanter, à jouer de la musique ou à faire du théâtre. Il s’en découle une énergie inégalable et inexplicable. Tous ces rares moments où il leur est permis de s’exprimer à travers l’art et où le temps paraît s’arrêter forment la plus belle expérience que j’ai vécue ici.
- D’après-toi, d’un point de vue « social », quelle est la plus grande différence entre la Suisse et l’Argentine ?
Au niveau sociétal, nous ne parlons pas des mêmes problématiques. On m’a, à plusieurs reprises, demandé s’il y avait du travail social en Suisse. Ici, la problématique majeure est la pauvreté et de là s’en découle tout le reste. En Suisse, notre principal problème se situe au niveau psychique (suicide, burnout, etc.) Je suis parvenue à la conclusion que notre rythme de vie est devenu tellement éreintant que nous en venions à créer de nouvelles maladies mentales, de nouvelles problématiques sociétales. Il s’en dégage un mal-être général, du fait que les exigences sont devenues trop grandes, au niveau professionnel et personnel. Nous n’arrivons pas à apprécier et à reconnaitre la valeur de ce que nous possédons. Nous sommes systématiquement à la recherche d’autre chose.
- Qu’as-tu appris aux niveaux personnel et professionnel durant ce temps en Argentine ?
Ici, on prend le temps de vivre. On prend le temps de faire les choses, et surtout, on sait les apprécier. Il y a des valeurs, comme la solidarité, que nous avons perdues et que j’ai eu la chance de retrouver ici. Le système D aussi m’a fortement marqué. On peut tout réparer avec pas grand-chose. On ne jette rien, on trouve une utilité à tout. « S’adapter » et « faire avec » sont devenus mes devises. Le plus dur, et cela le restera certainement toute ma vie, a été de me confronter à ma propre impuissance ; de faire de ma frustration une force pour avancer.
J’ai appris énormément des gens incarcérés ou qui vivaient dans les quartiers défavorisés. Même vivant dans une cellule ou dans un bidonville, ils gardent une flamme en eux, une étincelle de vie qui semble éteinte chez beaucoup d’autres. Malgré les souffrances, les gens détiennent une énergie, une imagination et un humour inattendu en toute situation.
- Quel message souhaites-tu transmettre aux lecteurs de ce journal ?
Cette expérience m’aura ouvert les yeux sur quelque chose d’important. Nous sommes à tel point centrés sur notre routine quotidienne, que nous n’avons plus de recul sur les choses essentielles de la vie. J’ai compris qu’il ne fallait pas hésiter à aller à la rencontre de l’autre et à aller le chercher là où il est. Nous avons beaucoup de préjugés, véhiculés par les médias, sur celui qui a fauté ou qui a une trajectoire de vie différente de la nôtre. Juger et punir ne permettront jamais à la personne de changer. Tout ce dont nous avons besoin pour nous épanouir, c’est de nous sentir utiles, reconnus, libres de choisir notre destinée et être aimés.